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Lymphomes et déficit immunitaire commun variable

Par le Pr. Jean Emmanuel Kahn

Références : Smith T, Cunningham-RundlesC. Lymphoid malignancy in common variable immunodeficiency in a single-center cohort. Eur J Haematol. 2021;107:503–516. https://doi.org/10.1111/ejh.13687

 

Le déficit immunitaire commun variable (DICV) est le plus fréquent des déficits immunitaires primitifs symptomatiques. En plus des manifestations infectieuses, le DICV se complique volontiers de maladies autoimmunes spécifiques d’organes, de maladies inflammatoires granulomateuses, ou de lympho-proliférations, ces manifestations étant peu sensibles au traitement substitutif par immunoglobulines. Ces syndromes lymphoprolifératifs peuvent être le plus souvent bénins, mais le risque accru de survenue de lymphomes au cours des DICV est aussi bien établi, avec une fréquence variant entre 1 à 9 % selon les registres.

Les auteurs de ce travail ont analysé la fréquence et le type de lymphomes dans une cohorte de 647 patients DICV (diagnostiqués après 4 ans) suivis dans un seul centre expert à New York. Seuls les patients avec un lymphome diagnostiqué plus de 2 ans après le diagnostic de DICV étaient inclus. Le diagnostic de lymphome était validé après relecture anatomo-pathologique, ce qui a permis d’exclure rétrospectivement 6 patients dont le diagnostic initial de lymphome non Hodgkinien (LNH) était corrigé en prolifération lymphoïde bénigne. Sur une période de 45 ans, 45 patients (7 %, 15 hommes et 30 femmes) ont eu un diagnostic de lymphome. L’âge au diagnostic du lymphome était variable, en moyenne de 49 ans (âge moyen au diagnostic de DICV 43 ans) avec des extrêmes de 4 à 81 ans et un écart-type de 20 ans. Le diagnostic était un LNH-B chez 44 des 45 patients (96 %), 1 seul ayant un lymphome T anaplasique ALK-. Un lymphome hodgkinien additionnel préalable au LNH-B avait été diagnostiqué chez 4 des patients ayant un LNH-B.



Les phénotypes les plus fréquemment identifiés étaient : lymphome B diffus à grande cellules (n=20, 40 %), lymphome de la zone marginale extra-nodal ou lymphome du MALT (n=10, 20%), lymphome B non spécifié (faute de matériel disponible pour relecture, n=10, 20%). Seulement 3 LNH-B étaient positifs pour l’Epstein-Barr Virus (EBV).

La fréquence des complications non infectieuses était la suivante : splénomégalie ou adénopathies : 24 % ; purpura thrombopénique immunologique (PTI) : 13 % ; granulomatose ganglionnaire et/ou pulmonaire : 11 % ; autres maladies auto-immunes (Biermer, cirrhose

biliaire primitive...) : 20%. Ces fréquences ne semblaient pas différentes de celles observées chez les patients DICV sans lymphome de cette même cohorte. À l’instar d’autres travaux, un taux plus élevé des IgM sériques était observé chez les patients DICV avec lymphome comparativement à ceux sans lymphome (0.7 vs 0.3 g/l, p=0.009).

Sur les 17 patients ayant eu une analyse génétique, une anomalie monogénique (TNFRSF13B n=1 et PI3KCD n=1) a été identifiée chez 2 patients. La patiente ayant une mutation de PI3KCD avait un LBH-B associé à l’EBV.

Le lymphome a été responsable du décès chez 27 (66 %) des 41 patients dont le suivi était disponible.

Ce travail monocentrique permet, en complément d’autres registres et cohortes disponibles, d’affiner les caractéristiques des lymphomes survenant au cours des DICV : une fréquence de 7% dans cette cohorte, principalement des LNH B à grandes cellules et extra-nodaux de la zone marginale ou du MALT non lié à l’EBV, une prédominance féminine (non rapportée dans d’autres séries) et une mortalité importante. Dans cette cohorte, l’existence d’une lymphoprolifération bénigne, d’une granulomatose ou d’une maladie auto-immune n’était pas

statistiquement associée à une fréquence accrue de lymphome, comparativement à d’autres registres ayant ponctuellement suggéré une association entre fréquence du PTI ou d’une granulomatose et survenue d’un lymphome. Ce travail ne fournit pas d’information importante sur le sur-risque éventuel de lymphome induit par certains DICV monogéniques comme TNFRSF13B et PI3KCD en raison du faible nombre de cas. Enfin, ce travail souligne l’importance d’une expertise anatomo-pathologique pour distinguer les lympho proliférations bénignes des authentiques lymphomes avant d’éviter les sur-diagnostics et les chimiothérapies inutiles et délétères.

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