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Déficits Immunitaires Primitifs et grossesse : l’étude PREPI

Par le Dr. Nizar MAHLAOUI

Elise Mallart, Ugo Françoise, Marine Driessen, Stéphane Blanche, Olivier Lortholary, Agnès Lefort, Marion Caseris, Alain Fischer, Nizar Mahlaoui, Caroline Charlier; PREPI study group.

J Allergy Clin Immunol. 2023 Sep;152(3):760-770. doi: 10.1016/j.jaci.2023.05.006. Epub 2023 May 18.

Les patients avec un déficit immunitaire ont un risque accru bien connu de complications infectieuses, sévères et/ou récurrentes, causées par des germes banals ou des germes opportunistes, selon la nature du déficit immunitaire.

Avec l’optimisation de la prise en charge des déficits immunitaires primitifs, l’espérance de vie des patients atteints augmente, et davantage de patients atteignent l’âge adulte. Ainsi, la possibilité de mener un projet de grossesse, déjà rapportée pour les patientes atteintes notamment d’hypogammaglobulinémie / déficit immunitaire commun variable, est maintenant rapportée pour d’autres types de DIH.

Dans ce contexte, alors que la prise en charge des patients atteints de DIH est de mieux en mieux codifiée, la contraception et la grossesse n’ont pas encore fait l’objet de recommandation : le suivi médical, et la prévention des complications infectieuses, restent ainsi à l’appréciation du praticien. Pourtant, la grossesse peut soulever différents enjeux : 

  • cliniques, via une susceptibilité accrue vis-à-vis de certaines infections (urinaires), 
  • diagnostiques, avec la difficulté posée par les substitutions par  immunoglobulines humaines polyvalentes au long cours pour le diagnostic sérologique de certaines infections chez les patientes avec déficit immunitaire humoral, 
  • thérapeutiques, avec à titre d’exemple la difficulté de l’antibioprophylaxie antifongique chez la femme enceinte, qui ne peut recevoir d’antifongiques azolés, tératogènes. Les enjeux peuvent varier et se combiner en fonction du type de déficit immunitaire.

Les données disponibles dans la littérature sont rares et limitées à certains déficits. Parmi les déficits humoraux, le Déficit Immunitaire Commun Variable (DICV) est celui pour lequel on dispose du nombre le plus élevé de données publiées (fertilité inférieure à celle de la population générale, complications obstétricales telles que menace d’accouchement prématuré, de pré-éclampsie, éclampsies et infantiles telles enfants mort-nés et de petits poids de naissance). Sur le plan thérapeutique, le bénéfice de poursuivre la substitution par immunoglobulines pendant la grossesse chez les patientes avec DICV est bien acquis, certains auteurs suggèrent même une augmentation des doses pendant cette période chez ces patientes, et il n’y a pas d’étude traitant de l’intérêt d’une antibiothérapie prophylactique durant la grossesse. Enfin, le suivi sérologique recommandé dans le contexte d’une grossesse en population générale est mis à défaut chez les patientes avec DICV ou autre forme de DIH avec hypogammaglobulinémie profonde compte-tenu du risque de faux négatifs du fait de l’hypogammaglobulinémie et de faux positifs du fait de la substitution par immunoglobulines. 

Le déficit complet et isolé en IgA est rarement à lui seul responsable d’un risque accru d’infections, mais peut être associé à des pathologies auto-immunes. Une étude a mis en évidence un léger excès de risque d’issue défavorable, qui se corrige après prise en compte de la présence d’une maladie auto-immune. 

Une étude sur les déficits en sous-classes d’IgG suggère le bénéfice d’une supplémentation pendant la grossesse.

Quelques cas de grossesse ont été rapportés chez des patientes atteintes de Granulomatose Septique Chronique (CGD), la plupart compliquées d’infections en l’absence de prophylaxie anti infectieuse.

Le déroulement des grossesses chez les patientes atteintes de neutropénie sévère congénitale a fait l’objet de plusieurs études dont une américaine de 2011 montrant que les grossesses se compliquent davantage en l’absence de G-CSF (MAP, ruptures prématurées des membranes, infections) avec moins de naissances vivantes et plus de fausses couches. La même équipe a également mis en évidence l’innocuité de l’utilisation du G-CSF pendant la grossesse. 

Les déficits en fractions du complément exposent également à un risque infectieux accru, mais les cas rapportés dans la littérature font plutôt état des complications immunologiques induites par ces déficits. 

L’étude PREPI (PRegnancy Evaluation Primary Immunodeficiency) a collecté des données sur la grossesse chez des femmes suivies pour un DIP en région Ile-de-France. Ces femmes ont été identifiées à partir du registre national du centre de référence maladies rares CEREDIH. Les femmes ont répondu à un questionnaire spécifique ayant pour objectif (1) de décrire le DIP et le déroulement de la grossesse et (2) de tenter d’identifier les facteurs associés à des problématiques observées pendant la grossesse et en période périnatale

Résultat 1

222 grossesses chez 93 femmes incluses (Hypogammaglobulinémie : n = 119, Déficit Immunitaire Combiné : n = 67 ;Déficit de l’Immunité Innée : n = 26). Le taux de naissances vivantes était de 69 % avec 3 % de prématurité sévère (ce qui est proche des données en population générale en France). Un parcours obstétrical défavorable était associé à des antécédents d’infection sévère chez la patiente.

Résultat 2

Seulement 57 % des grossesses ont été menées avec une prophylaxie anti-infectieuse optimale. Les grossesses menées sous prophylaxie optimale avaient un meilleur déroulement (avec, néanmoins, des infections sévères au cours de 2 grossesses seulement).

Ce que cette étude apporte dans le domaine :

Les grossesses sont réalisables chez les femmes ayant un DIP.

Il est fortement recommandé de réaliser un suivi multidisciplinaire en collaboration avec le référent DIP du centre de compétence/centre de référence, notamment pour proposer la prophylaxie anti-infectieuse la plus adaptée à chaque patiente pendant la grossesse et en période périnatale. Ces résultats apportent des informations rassurantes pour les cliniciens et les patientes. Des travaux supplémentaires seraient importants à mener pour mieux définir les approches personnalisées en termes de recommandations concernant les prophylaxies anti-infectieuses et pour mieux évaluer la fertilité.

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