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Déficit immunitaire primitif et manifestations
auto-immunes/inflammatoires

Par le Pr. Anne-Sophie Korganow

Les manifestations non infectieuses -  Allergies, auto-immunité, inflammation, lymphoproliférations, et cancers - sont bien connues dans les déficits immunitaires primitifs (DIP) et participent au pronostic.

Pour obtenir une vue globale de leur survenue, une cohorte rétrospective de 1375 patients, inclus dans le registre du CEREDIH (Centre National Français de Référence pour les Déficits Immunitaires Primitifs), a été analysée par M Alligon et coll., sur un suivi de 10 ans, et publiée dans le J Allergy Clin Immunol en 2022. Les patients ont été suivis de 2009 à 2018, par différents centres de référence ou de compétences dans des hôpitaux universitaires. Cette étude montre que de façon générale 20.1 % des patients développent au moins une manifestation non infectieuse, représentant 277 évènements sur dix ans. Les manifestations auto-immunes - inflammatoires représentent 138 évènements. Il s’agit des manifestations survenant avant traitement curatif qui comportait essentiellement des greffes allogéniques de moelle osseuse, quelques cas de thérapie génique ou de transplantation thymique. Cette étude retrouve les données déjà publiées antérieurement avec 22.8 % de patients présentant des manifestations auto-immunes ou inflammatoires avant l’entrée dans l’étude, 6.5 % de ces patients sur la période observationnelle de 10 ans, et de façon intéressante, 17.1 % des patients après le traitement curatif, sous réserve des difficultés d’interprétation des manifestations auto-immunes après une allogreffe. Cette étude retrouve une fréquence élevée de maladies inflammatoires digestives dans les granulomatoses chroniques (CGD). Elle retrouve l’âge assez précoce d’apparition, de 11 à 30 ans, avec un déclin par la suite. Elle montre également à nouveau que la survenue de manifestations auto-immunes et inflammatoires est un facteur indépendant de mauvais pronostic.

 Cette cohorte suivie sur 10 ans est représentative de la cohorte totale de 6598 patient du CEREDIH au moment de la publication, avec un éventail large de différents déficits immunitaires primitifs. Antérieurement, en 2017, la cohorte du CEREDIH à l’époque de 2183 patients avait été décrite par A Fischer et coll. pour les manifestations auto-immunes et inflammatoires observées dans des fréquences similaires. Les premiers déficits concernés étaient les déficits concernant les cellules B, avec au premier rang des manifestations les cytopénies auto-immunes, puis les manifestations rhumatologiques, puis les manifestations gastro-intestinales. Les cytopénies auto-immunes étaient la manifestation auto-immune la plus fréquente retrouvée quelle que soit l’étiologie du déficit, en dehors des déficits de l’immunité innée, ou les manifestations gastro-intestinales étaient au premier plan. Cette étude retrouvait déjà une altération de la survie dans les déficits immunitaires primitifs avec auto-immunité/inflammation, comparée aux patients sans manifestations auto-immunes. 

Récemment, plusieurs études d’intérêt ont été publiées sur la survenue d’une auto-immunité au cours de déficits immunitaires primitifs. Jennifer W. Leiding et col rapportent ainsi cette année la plus grosse série de gain de fonction STAT3 (GOF STAT3). En 2014, ont été décrits pour la première fois des mutations GOF dans le transduceur de signal et activateur de transcription STAT3, à l’origine d’une expression multi-systémique, avec lymphoprolifération et auto-immunité précoce. Dans l’étude de J W Leiding, 191 patients sont identifiés, issus de 33 pays, avec 72 mutations. Les variants concernent tous les domaines de la protéine STAT3 et sont à l’exception d’une (délétion) des mutations missenses. 68 mutations sont absentes des databases de type de GnomAD. Les variants ont été validés fonctionnellement sur la base d’un essai luciférase reporté antérieurement (JD Milner et al, Blood 2015). 73 % des patients présentent une lymphoprolifération, de type lymphadénopathie diffuse et ou splénomégalie avec sur le plan biopsique le plus souvent une hyperplasie folliculaire. Les cytopénies auto-immunes sont la deuxième manifestation clinique la plus commune, avec pour la plupart des patients deux ou trois lignées cellulaires affectées (anémie hémolytique à Coombs positif, thrombopénie auto-immune, ou présence d’anticorps anti granuleux). Une maladie pulmonaire de type pneumopathie interstitielle lymphoïde est notée pour 43 % des patients. 30 % des patients présentent une lymphopénie B, et 22.6 % une hypogammaglobulinémie. Le retard de croissance est un caractère fréquent, concernant 57 % des patients dont plus de la moitié d’entre eux ont une entéropathie. À noter les débuts très précoces en particulier des manifestations gastro-intestinales dans les deux premières années de vie. Une partie des entéropathies est considérée comme des maladies cœliaques, avec atrophie villositaire. Enfin, 48 % des patients ont des manifestations cutanées, de type eczéma, psoriasis, ou alopécie. 72 % des patients présentent des infections minimes à sévères, pour la plupart bactériennes. Les traitements sont très variés en fonction des manifestations présentées incluant pour 23 une greffe de moelle osseuse. Toutefois, avec un âge moyen de présentation de 2.3 ans, la survie cumulative de la cohorte est de 88 %. Cette cohorte internationale représente la série la plus importante de patients avec des GOF STAT3. Elle montre qu’il s’agit d’une maladie sévère, d’évolution progressive, associant infections, lymphoprolifération, et dysimmunité. La transmission est dominante, avec des diagnostics différentiels comprenant en particulier les syndromes auto-immuns lymphoprolifératifs. Le diagnostic actuel se fait sur séquençage avec une validation pour l’instant uniquement possible en recherche. 

Cette année 2023 a vu la publication de 2 articles sur des mutations germline, liées à l’X, affectant le régulateur du cytosquelette d’actine DOCK11. Un article fait état de 4 patients mâles, présentant des manifestations inflammatoires à début précoce, une anémie normochrome, avec une hypoplasie de la lignée érythroïde. Sur le plan des manifestations inflammatoires, il s’agit selon les cas de fièvre récurrente avec hyperleucocytose, d’inflammation cutanée, de splénomégalie, d’inflammation digestive de type Crohn. Par ailleurs, les patients présentent des infections récurrentes, de type BCGite, ou bactériennes. Dans le deuxième article, de C. Boussard et coll, les patients sont âgés de 7 à 29 ans. Le début est également précoce avant l’âge de 10 ans dans la plupart des cas. Certains patients présentent des manifestations lupiques, en particulier sur le plan cutané, des manifestations inflammatoires digestives, une anémie arégénérative pour seulement un patient. Une partie des patients présente des anticorps antinucléaires. Selon les cas, le taux d’immunoglobulines est normal ou abaissé. Dans la plupart des cas, sur les deux études, il n’existe pas d’altération majeure en nombre du compartiment T. Toutefois, les lymphocytes T des patients sont altérés, avec une migration anormale. Il s’agit d’une nouvelle actinopathie liée à l’X, impactant plusieurs types cellulaires dont les lymphocytes et les plaquettes. Les deux études sont très instructives sur les conséquences diverses d’une altération du cytosquelette d’actine.

H S Kuehn et coll, colligent très récemment les mutations affectant la protéine Ikaros. Ces mutations sont de transmission dominante, et peuvent être suivant leur localisation dans le gène, gain de fonction ou perte de fonction (dominant négatif, haplo-insuffisance). Ainsi, une soixantaine de patients ont été individualisés avec des haplo-insuffisances d’IKZF1. L’âge des premières manifestations cliniques est variable, et peut aller jusqu’à 50 ans. Environ 25 % des porteurs sont asymptomatiques. Les manifestations les plus fréquentes sont des infections bactériennes. Les deuxièmes manifestations les plus fréquentes sont des maladies auto-immunes ou inflammatoires, avec un éventail très varié, incluant des thrombopénies auto-immunes, des arthrites, des lupus, des syndromes des antiphospholipides. Les patients ont globalement une lymphopénie CD4, avec un ratio CD4 sur CD8 inversé, et pour plus de 6 0% d’entre eux des taux bas de lymphocytes B, avec ou sans hypogammaglobulinémie. Les gains de fonction Ikaros ont été décrits plus récemment, par différentes équipes. Ces patients présentent des infections bactériennes en général peu sévères, des manifestations atopiques ou allergiques, et des manifestations auto-immunes, plutôt de type auto-immunité d’organe, lymphoproliférations bénignes (maladie des IgG4) ou malignes. L’âge de survenue varie de 1 an jusqu’à 40 ans. L’auto-immunité - inflammation concerne 75 % des patients.

En conclusion, ces travaux récents soulignent la fréquence des manifestations auto-immunes – inflammatoires au cours des déficits immunitaires primitifs. Ils rappellent leur survenue possible à l’âge adulte, et leur variabilité pour un même déficit. L’enjeu diagnostic est important, puisque ces manifestations doivent être prises en charge au vu du déficit immunitaire primitif sous-jacent, en prenant en compte le risque infectieux, et la démonstration que globalement elles impactent le pronostic. Sur le plan mécanistique, elles ouvrent la compréhension des maladies auto-immunes inflammatoires, concernant à la fois des protéines impliquées dans le développement lymphocytaire comme la protéine Ikaros, des facteurs de transduction de signal comme STAT3 ou le cytosquelette d’actine ubiquitaire.

PODCAST

 

Sources : 

Mickael Alligon et al, An appraisal of the frequency and severity of noninfectious manifestations in primary immunodeficiencies : a study of a national cohort of 1375 patients over 10 years. JACI 2022, 148, 2116-2125
Alain Fischer et al, Autoimmune and inflammatory manifestations occur frequently in patients  with primary immunodeficiencies. JACI, 140, 1388-1393
Jennifer W.Leiding et al, Monogenic early-onset lymphoproliferation and autoimmunity : Natural history of STAT3 gain-of-function syndrome, JACI, 2023, 151, 1081-1095
Charlotte Boussard et al, DOCK11 deficiency in patients with X-linked actinopathy and autoimmunity, Blood, 2023, 141, 2713-2726
J Block et al, Systemic inflammation and normocytic anemia in DOCK11 deficiency, N Engl J Med, 2023, 389, 527-539
Hye SunKuehn et al, Inborn errors of human IKAROS : LOF and GOF variants associated with primary immunodeficiency, Clin Exp Immunol. 2023, 212, 129-136